Le porno peut s’immiscer dans la vie des couples, est-il un simple moyen de pimenter la relation ?
Alors que beaucoup d’études sur l’influence et les mécanismes de la pornographie sur l’individu sont parues dans les dernières décennies, la place de ce phénomène de société reste plus floue lorsque l’on évoque le couple. Dans un article intitulé “Jusqu’à ce que le porno nous sépare ?”, l’American Sociological Association semble avoir découvert que “les hommes mariés qui commencent à regarder du porno ont deux fois plus de chances de divorcer après quelques années. Pour les femmes, c’est même 3 fois. Toutefois, l’impact serait bien moindre si le couple organise des séances de visionnage communes. »1 Il apparait donc pertinent d’analyser les deux situations, à savoir les conséquences dans le cadre d’un visionnage individuel (chacun de son côté) voire solitaire (un seul des deux) par rapport à une pratique en couple (les deux ensemble).Le visionnage seul a un impact négatif sur les deux membres du couple
Une étude britannique citée dans GQ donne des chiffres intéressants: ‘30% des Britanniques de plus de 65 ans considèrent que regarder du porno c’est tromper… mais on tombe à 10% pour les personnes de moins de 50 ans.’2 Dans ce contexte de banalisation de la pornographie, la découverte de la consommation de son ou sa partenaire, si elle choque moins qu’avant peut créer un sentiment d’insécurité en venant s’immiscer comme un nouveau partenaire silencieux au sein du couple. Et le journaliste de GQ continue ‘on justifie toujours notre propre consommation (parfaitement innocente) mais si l’autre regarde, on se demande pourquoi.’ Ainsi, lorsqu’un seul des deux membres du couple visionne des images de pornographie, plusieurs écueils apparaissent pour le couple et la dynamique des relations sexuelles et romantiques :- sur la personne qui visionne de la pornographie : par-delà les troubles sexuels (trouble de l’érection, éjaculation précoce chez l’homme), il existe aussi « des troubles relationnels qui peuvent altérer la dynamique du couple. Un décalage entre le vécu et les images du net peuvent induire des comparaisons frustrantes, des injonctions de performance (avec l’anxiété qui va avec), un sentiment de culpabilité ou encore des dépendances dont il est ensuite difficile de s’extraire »3. Si ces comparaisons viennent souvent des hommes, elles peuvent aussi venir des femmes, dont la consommation de pornographie est en forte augmentation, comme le souligne une étude Ifop de 2012, ‘82% des Françaises confiaient avoir déjà vu du porno, contre 23% en 1992. »4
- sur le / la conjoint(e) non consommateur d’images : certaines femmes ont indiqué que la visualisation de la pornographie par le partenaire constituait une forme d’infidélité, générait également un sentiment de trahison chez elles, dénaturait enfin la relation sexuelle par une forte pression de l’autre pour reproduire les pratiques visionnées souvent plus violentes que les habitudes du couple. Chez les hommes, comme chez les femmes, la découverte de la consommation du partenaire peut être vécue comme le révélateur de l’insatisfaction sexuelle de leur partenaire qui cherche un refuge dans la pornographie sans en parler, et induit donc un fort sentiment d’insécurité pour le couple.
- sur le couple : de multiples effets directs et indirects apparaissent, notamment la perte d’intimité, l’isolement, et des dysfonctionnements de la relation. Deux études évoquent également le rapport à l’extra-conjugalité : une première a montré « que le visionnage de contenu à caractère pornographique faisait percevoir plus positivement les relations extraconjugales et leur qualité. »5. Une deuxième a mis en lumière « le lien entre consommation de pornographie et relations extraconjugales (avec un autre partenaire que le leur), et ce pour la raison suivante : la perception de la qualité des relations « alternatives » est largement augmentée par la consommation d’images à caractère pornographique. »6. Cela n’est pas surprenant, une étude (Lambert et al, 2012) a montré qu’un niveau élevé de consommation était lié à un faible niveau d’engagement dans la relation7.
En regarder à deux : pis-aller et manque de résultats
Lorsque les deux partenaires du couple décident de regarder ensemble de la pornographie, les études statistiques sont beaucoup moins nombreuses. Quand elles existent, les conclusions sont plus mitigées que celles évoquées plus haut. En effet, la visualisation en couple est alors considérée comme choisie dans une optique récréative et non problématique ou compulsive. Si les études sont unanimes sur l’impact négatif d’une consommation individuelle par rapport à une absence de visionnage, elles tirent moins de conclusions sur le visionnage à deux, si ce n’est qu’il a n’a pas été prouvé que celui-ci avait un impact positif par rapport à une absence de visionnage sur la dynamique conjugale et sur la sexualité.
Une question reste ouverte : la désensibilisation au porno que l’on observe à l’échelle individuelle peut-elle s’observer à l’échelle du couple ? Un rapport du Max Planck Institute de Berlin, explique la notion de désensibilisation : « la zone du cerveau qui est activée à chaque fois que l’on regarde du porno a tendance à rétrécir avec le temps, ce qui va de pair avec une baisse de satisfaction. Résultat, on a tendance à regarder du contenu de plus en plus hardcore pour compenser et parvenir à la même stimulation sexuelle. »9. La consommation de contenus pornographiques à deux pourrait-elle faire des couples des éternels insatisfaits plutôt que d’alimenter les fantaisies sexuelles ? Les chercheurs nous laissent encore le bénéfice du doute. A défaut, ce visionnage à deux est présenté comme un pis-aller par rapport au visionnage en solitaire (pour éviter les frustrations et autres maux de couples évoqués plus haut). Inversement, il est recommandé de ne pas en regarder si l’accent est mis sur la dimension romantique.
En conclusion, la segmentation de l’impact de la pornographie dans le couple, selon une consommation individuelle ou commune, est un apport intéressant des études récentes. On peut souligner cependant que si les études sont moins explicites et moins nombreuses sur la consommation en couple, cela souligne avant tout la prédominance du visionnage individuel de pornographie (mettant en danger le couple), réduisant potentiellement la qualité des échantillons choisis pour mener de telles études. Si la pornographie en couple reste peu abordée et approfondie, c’est donc qu’il s’agit d’un épiphénomène. On pourrait y voir ici donc un critère de différentiation claire entre « faire du sexe » et « vivre une sexualité ».10.
Vivre une sexualité c’est prendre son temps, c’est accepter que le désir de l’un ne soit pas toujours au même niveau que le désir de l’autre au même moment, c’est aussi jouir des moments où le désir est naturellement partagé, et avancer progressivement dans la connaissance de son corps et de celui de l’autre pour le bonheur de son couple.
Faire du sexe, en s’aidant par des contenus pornographiques peut surement faire découvrir plus rapidement des formes d’excitations nouvelles pour chacun, et peut-être est-ce alors pour le couple une forme d’expérimentation. Cependant cette recherche ne se limite pas à l’intimité du couple qui prend plaisir à se découvrir, mais vient calquer des pratiques vues à l’extérieur dans une expérience à deux. Ainsi, de même qu’un couple peut perdre sa singularité en se jaugeant par rapport à des films « mainstreams », le porno dans le couple tend probablement à limer l’intimité, œuvre de plusieurs années.
[1] Article de l’American Sociological Association : ‘Beginning pornography use associated with increase in probability of divorce’, cité dans l’article de GQ du 29 mars 2017 : ‘Quels sont les effets du porno sur votre cerveau?’
[2] Etude de juin 2017, par David Marjoribanks and Anna Darnell Bradley, Relate : ‘The Way We Are Now — The state of the UK’s relationships’, citées dans l’article de GQ du 31 août 2017: ‘Pornographie, quand l’imaginaire plombe le réel’, par Maïa Mazaurette
[3] The Huffington Post, ‘Attention, trop de porno peut nuire à votre sexualité’ , Par Magali Croset-Calisto, Contributeur, sexologue clinicienne, psychologue spécialisée dans le traitement des addictions et écrivaine, 28 novembre 2016
[4] Ifop ‘Les Français, les femmes et les films X’
[5] Étude de Gwinn, Lambert et al.: Pornography, Relationship Alternatives, and Intimate Extradyadic Behavior (2013)
[6] ibid.
[7] Étude de Lambert et al. : A Love That Doesn’t Last: Pornography Consumption and Weakened Commitment to One’s Romantic Partner (2012)
[8] Étude de Schneider J. P. :. Effects of cybersex addiction on the family: Results of a survey. Sexual Addiction & Compulsivity (2000b)
[9] Rapport du Max Planck Institute de Berlin
[10] The Huffington Post, ‘Attention, trop de porno peut nuire à votre sexualité’ , Par Magali Croset-Calisto, Contributeur, sexologue clinicienne, psychologue spécialisée dans le traitement des addictions et écrivaine, 28 novembre 2016