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Violences Sexuelles et Pornographie

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Le lien entre la consommation de pornographie et la violence sexuelle a fait l’objet de nombreuses recherches et enquĂȘtes gouvernementales depuis les annĂ©es 1970, notamment aux Etats-Unis[1]. Les conclusions ne font pas consensus et le dĂ©bat est encore trĂšs animĂ© dans la sociĂ©tĂ© occidentale[2].

Le lien de causalitĂ© entre la consommation de pornographie et la violence sexuelle peut ĂȘtre direct mais dans deux directions opposĂ©es : certaines analyses concluent qu’un.e consommateur.trice de pornographie sera plus enclin.e Ă  banaliser ou Ă  commettre des actes de violence sexuelle[3] ; d’autres analyses concluent Ă  l’inverse que l’accessibilitĂ© Ă  la pornographie tend Ă  rĂ©duire ces actes[4] : « la criminalitĂ© en gĂ©nĂ©ral, et le viol en particulier, ont diminuĂ© de maniĂšre substantielle au cours des vingt derniĂšres annĂ©es, alors que la disponibilitĂ© de la pornographie a augmentĂ© de maniĂšre constante au cours des vingt derniĂšres annĂ©es ».

Plusieurs chercheurs et universitaires concluent par ailleurs Ă  l’absence de tout lien de causalitĂ© entre la consommation de pornographie et la violence sexuelle[5] ; d’autres auteurs suggĂšrent que les effets nĂ©fastes de la pornographie peuvent ĂȘtre de courte durĂ©e[6]. Certaines Ă©tudes ont Ă©galement dĂ©montrĂ© que la consommation de pornographie ajouterait au risque d’agression sexuelle seulement pour les hommes dĂ©jĂ  prĂ©disposĂ©s Ă  ĂȘtre sexuellement agressifs[7].

Les rĂ©sultats des recherches expĂ©rimentales existantes sur les effets de la pornographie sont donc mitigĂ©s et souvent influencĂ©s par la mĂ©thodologie employĂ©e[8]. Les mĂ©ta-analyses[9] ont particuliĂšrement retenu notre attention[10] ; notamment celle de Paul J. Wright, Robert S. Tokunaga et Ashley Kraus, qui se sont intĂ©ressĂ©s aux effets du visionnage de pornographie Ă  partir des rĂ©sultats de vingt-deux Ă©tudes rĂ©alisĂ©es dans sept pays diffĂ©rents[11].

La pornographie visĂ©e dans cet article consiste dans l’exploitation commerciale de la reprĂ©sentation explicite et filmĂ©e de pratiques sexuelles non simulĂ©es ; la violence sexuelle est entendue au sens large, et sous toutes ses formes : physique, verbale, psychologique.

1. Pourquoi la consommation de pornographie peut-elle conduire Ă  de la violence sexuelle ?

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Depuis quelques dĂ©cennies, un Ă©lĂ©ment nouveau est apparu, Ă  savoir l’impact d’une pornographie plus prĂ©sente et accessible que jamais[12]. En France, une enquĂȘte de 2005 a montrĂ© que 58 % des garçons et 45 % des filles ont vu leurs premiĂšres images pornographiques avant l’ñge de 13 ans[13]. Cette mĂȘme Ă©tude rapporte que 58% des garçons et 42% des filles estiment que leur sexualitĂ© est influencĂ©e par la pornographie. En 2019, Anne de Labouret[14] indiquait que l’ñge moyen de visionnage des premiĂšres images pornographiques se situe autour des 10 ans.

La pornographie a un impact sur la façon dont les adolescents et les jeunes adultes abordent leur entrĂ©e dans la sexualitĂ©. Elle constitue leur premiĂšre, voire seule rĂ©fĂ©rence de ce que peuvent ĂȘtre des rapports sexuels, devenant ainsi le lieu d’apprentissage de la sexualitĂ© par dĂ©faut[15]. DĂšs les annĂ©es 1980, plusieurs auteurs nord-amĂ©ricains soulignaient le rĂŽle de la pornographie dans l’éducation sexuelle occidentale[16]. En effet, les jeunes regarderaient des contenus pornographiques pour quatre raisons principales, dont la prĂ©paration Ă  la sexualitĂ© et la dĂ©couverte de pratiques sexuelles[17]. La recherche d’informations sur la sexualitĂ© apparaĂźt donc comme un facteur clĂ© des premiers visionnages volontaires de contenus pornographiques.

59 % des personnes interrogĂ©es dans une Ă©tude australienne dĂ©claraient avoir appliquĂ© dans leur propre vie sexuelle ce qu’elles avaient vu dans une vidĂ©o pornographique ; cela corrobore le positionnement croissant de la pornographie comme « autoritĂ© culturelle » en matiĂšre de sexualitĂ©[18]. PrĂšs d’une femme sur cinq a spĂ©cifiquement dĂ©crit comment son partenaire voulait « essayer » diffĂ©rents actes ou scĂ©narios sexuels qu’il avait vus dans des vidĂ©os pornographiques ou sur internet ; la pornographie s’apparente ainsi Ă  un vĂ©ritable manuel d’apprentissage[19]. Selon une enquĂȘte IFOP de 2017, 45 % des adolescents de 15 Ă  17 ans ayant dĂ©jĂ  eu un rapport sexuel ont dĂ©jĂ  essayĂ© de reproduire des scĂšnes ou pratiques de films pornographiques[20].

La pornographie « mainstream » montre dĂ©sormais frĂ©quemment des violences Ă  l’encontre des femmes, telles que la strangulation et la dĂ©gradation, comme Ă©tant la norme[21]. La pornographie devenant plus accessible et normalisĂ©e, une population plus large peut ĂȘtre exposĂ©e Ă  des contenus pornographiques misogynes et violents par rapport aux gĂ©nĂ©rations prĂ©cĂ©dentes[22]. Cette accessibilitĂ© et cette normalisation peuvent avoir de larges rĂ©percussions sur les relations des consommateurs de pornographie, la perception culturelle plus large de la violence envers les femmes et la perpĂ©tration d’actes sexuels violents[23] ; l’impact de la consommation de pornographie sur le cerveau a Ă©galement fait l’objet de plusieurs recherches ayant rĂ©vĂ©lĂ© sa dangerositĂ©[24].

Contenu de plus en plus violent : banalisation de la violence

Une analyse du contenu des vidĂ©os pornographiques les plus vendues a rĂ©vĂ©lĂ© que 88 % des scĂšnes mettaient en scĂšne de la violence physique (fessĂ©e, bĂąillon, gifle, etc.), 48 % des scĂšnes mettaient en scĂšne l’agression verbale (insultes, menaces, langage coercitif, etc.) et 94 % des scĂšnes agressives prĂ©sentaient les femmes comme des cibles d’agression[25]. En moyenne, sur trois sites grand public, un titre vidĂ©o sur huit dĂ©crit une activitĂ© sexuelle constituant une violence sexuelle[26].

MĂȘme en mettant de cĂŽtĂ© tout argument moral, on ne peut qu’admettre que les sites les plus populaires proposent des contenus extrĂȘmes et malsains, des scĂšnes dĂ©gradantes oĂč est frĂ©quent l’usage de la force ou de la coercition sur des femmes globalement soumises[27]. A une Ă©poque oĂč la pornographie est accessible sur internet, les jeunes femmes en subissent les consĂ©quences : plus d’un tiers des femmes interrogĂ©es au Royaume-Uni ont Ă©tĂ© les victimes non consentantes de gifles, d’étranglement, d’étouffement et mĂȘme de crachats pendant un rapport sexuel pourtant dĂ©sirĂ©[28].

La sociologue amĂ©ricaine Gail Dines[29] a montrĂ© Ă  quel point les violences extrĂȘmes dans le milieu de la pornographie ne sont pas exceptionnelles mais au contraire de plus en plus rĂ©pandues[30]. Elle cite Ă  ce titre l’une des rares Ă©tudes ayant Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©es sur le contenu pornographique contemporain et selon laquelle la majoritĂ© des scĂšnes de cinquante films pornographiques parmi les plus louĂ©s sur le marchĂ© contiennent des abus physiques et verbaux Ă  l’encontre des exĂ©cutantes : 88 % des scĂšnes prĂ©sentent des agressions physiques (fessĂ©e, bĂąillon, gifle) ; 48 % prĂ©sentent des agressions verbales (emploi des termes « salope », « pute ») [31]. Les chercheurs concluent qu’en combinant les agressions physiques et verbales, prĂšs de 90 % de ces scĂšnes prĂ©sentent au moins un acte agressif, avec en moyenne prĂšs de douze mauvais traitements par scĂšne[32].

Les chiffres citĂ©s par la Fondation Scelles dans son cinquiĂšme rapport mondial sur le systĂšme prostitutionnel sont du mĂȘme ordre, et rĂ©vĂšlent que les scĂšnes de violence tournĂ©es dans le milieu pornographique sont nombreuses[33]. L’analyse de 304 scĂšnes de pornographie a montrĂ© que prĂšs de 90% des scĂšnes contenaient des actes de violence [34]. Certains contenus sont indubitablement illicites et leur diffusion est condamnable. Selon des chiffres communiquĂ©s par CĂ©line Piques, porte-parole de l’association Osez le fĂ©minisme !, PornHub recense 71.608 vidĂ©os faisant l’apologie de l’inceste et de la pĂ©docriminalitĂ©, ainsi que 2.462 vidĂ©os ayant pour mot clĂ© « torture »[35].

Si les contenus violents ne sont pas forcĂ©ment les plus recherchĂ©s par les utilisateurs, ils leur sont cependant trĂšs vite proposĂ©s ; et en cas d’accoutumance, l’un des phĂ©nomĂšnes les plus courants liĂ© Ă  la consommation de pornographie, les consommateurs vont se diriger vers des contenus de plus en plus violents[36].

2. Comment la violence sexuelle se manifeste ?

Actes et comportements violents

Dans une dĂ©cision remarquĂ©e de 1992, la Cour suprĂȘme du Canada avait Ă©tĂ© la premiĂšre cour au monde Ă  estimer qu’il existe un lien entre la pornographie en gĂ©nĂ©ral et la violence perpĂ©trĂ©e Ă  l’encontre des femmes dans la sociĂ©tĂ©[37].

Un certain nombre d’études transversales et expĂ©rimentales couvrant plusieurs dĂ©cennies ont suggĂ©rĂ© que la consommation de pornographie, en particulier par les hommes, est positivement associĂ©e Ă  l’agression sexuelle et aux attitudes violentes envers les femmes[38].

A l’issue de l’examen des rĂ©sultats de vingt-deux Ă©tudes rĂ©alisĂ©es dans sept pays, Paul J. Wright, Robert S. Tokunaga et Ashley Kraus concluaient en 2015 que

« Les donnĂ©es accumulĂ©es permettent d’affirmer qu’en moyenne, les individus qui consomment le plus souvent de la pornographie sont plus enclins Ă  des attitudes propices Ă  une agression sexuelle et s’engagent davantage dans des actes d’agression sexuelle que ceux qui ne consomment pas de pornographie ou qui en consomment moins frĂ©quemment » [39].

La consommation de pornographie est associĂ©e Ă  l’agression sexuelle aux Etats-Unis et dans le monde, chez les hommes et les femmes, ainsi que dans les Ă©tudes transversales et longitudinales. Les associations Ă©taient plus fortes pour les agressions sexuelles verbales que physiques, bien que les deux soient significatives[40].

En Italie, une Ă©tude publiĂ©e en 2006 aprĂšs l’analyse de donnĂ©es rĂ©coltĂ©es auprĂšs de 804 adolescents, garçons et filles, ĂągĂ©s de 14 Ă  19 ans, frĂ©quentant diffĂ©rents types d’écoles secondaires dans le nord-ouest de l’Italie, concluait que la violence sexuelle active et passive, les rapports sexuels non dĂ©sirĂ©s et la pornographie Ă©taient corrĂ©lĂ©s[41]. Outre Atlantique, une Ă©tude menĂ©e en 2019 et concentrĂ©e sur les adolescents amĂ©ricains identifiait un lien de causalitĂ© entre l’exposition Ă  une pornographie violente et des comportements violents lors d’un rendez-vous amoureux : les jeunes adolescents exposĂ©s Ă  de la pornographie ont trois fois plus de probabilitĂ©s de commettre un acte sexuel violent lors d’un rendez-vous[42].

Trente-huit femmes victimes de violence sexuelle ont Ă©tĂ© interrogĂ©es dans le cadre d’une Ă©tude intitulĂ©e « Beyond Silence » afin de mesurer l’impact de la consommation de pornographie dans un contexte conjugal : les participantes ont notamment indiquĂ© avoir Ă©tĂ© soumises Ă  des actes dĂ©crits comme avilissants, dĂ©valorisants, coercitifs et violents, et dont l’origine semblait directement liĂ©e Ă  la pornographie. Dans certains cas, les femmes interrogĂ©es ont Ă©tabli un lien clair entre la pornographie et la façon dont la violence Ă©tait perpĂ©trĂ©e par leur partenaire[43].

La premiĂšre Ă©tude Ă  examiner l’utilisation problĂ©matique de la pornographie et la perpĂ©tration de violence physique et sexuelle dans le milieu conjugal depuis la perspective des agresseurs date de 2021[44]. Deux cent soixante-treize hommes participant Ă  des programmes de rĂ©insertion Ă©taient interrogĂ©s en tenant compte de facteurs externes (symptomatologie psychiatrique, consommation de substances et addictions). Les rĂ©sultats ont rĂ©vĂ©lĂ© une association positive entre l’utilisation problĂ©matique de la pornographie et la perpĂ©tration de violence conjugale physique et sexuelle[45].

Quelles que soient l’époque et les mĂ©thodes, les Ă©tudes rĂ©vĂšlent gĂ©nĂ©ralement que la pornographie, en particulier la pornographie violente, semble ĂȘtre associĂ©e Ă  des augmentations significatives des variables liĂ©es aux agressions sexuelles, telles que l’acceptation du mythe du viol, les attitudes nĂ©gatives envers les femmes, la volontĂ© de violer et les antĂ©cĂ©dents de comportement agressif.

La pornographie apparaĂźt donc comme un important facteur de risque de violence sexuelle. Mais ses risques sont plus grands pour certains utilisateurs que pour d’autres. La violence sexuelle est façonnĂ©e par de multiples facteurs sociaux et culturels, dont la consommation de pornographie n’est qu’un exemple[46]. De nombreux consommateurs de pornographie ne sont pas sexuellement agressifs. Cependant, les donnĂ©es accumulĂ©es ne laissent guĂšre de doute sur le fait qu’en moyenne, les individus qui consomment de la pornographie plus frĂ©quemment sont plus susceptibles d’avoir des attitudes propices Ă  l’agression sexuelle et de commettre des actes d’agression sexuelle que les individus qui ne consomment pas de pornographie ou qui en consomment moins frĂ©quemment.

La domination masculine/misogynie

DĂšs les annĂ©es 1970, des chercheuses fĂ©ministes ont montrĂ© que les mariages forcĂ©s, la prostitution, les violences conjugales, les violences sexuelles, le harcĂšlement ou la pornographie doivent ĂȘtre apprĂ©hendĂ©s comme un continuum qui relĂšve d’un mĂȘme rapport social de domination du principe masculin[47].

La massification de la pornographie en ligne et l’industrialisation de ce secteur Ă©conomique ont participĂ© Ă  la construction d’un systĂšme de domination et de violences faites aux femmes dans l’industrie pornographique[48]. Plus globalement, ainsi que l’a exposĂ© Sophie Jehel, la pornographie tend Ă  renforcer la construction d’une culture viriliste de la sexualitĂ© des hommes, qui passe par la domination sexuelle des femmes, et dont la consommation est vĂ©cue bien souvent par les jeunes filles, mais aussi par les jeunes homosexuels, comme une agression[49]. Elle estime que la culture pornographique dans son ensemble vient renforcer les codes de la domination masculine et rend particuliĂšrement difficile l’éducation Ă  l’égalitĂ© et Ă  la paritĂ©[50]. La culture pornographique constitue le fait de vivre dans une culture dans laquelle la pornographie a infiltrĂ© nos vies, nos pratiques sexuelles, nos standards de beautĂ© et nos attentes envers nos partenaires sexuels[51]. Dans la pornographie, le pouvoir des hommes est sexualisĂ© et la violence envers les femmes est vue comme un fantasme bĂ©nin dĂ©connectĂ© de la rĂ©alitĂ©. Les femmes y sont soumises Ă  des pratiques entiĂšrement axĂ©es sur la sexualitĂ© masculine, elles sont humiliĂ©es et victimes de violence et ce, mĂȘme dans la pornographie la plus mainstream[52]. De nombreux Ă©lĂ©ments cruciaux du continuum de la violence envers les femmes sont expressĂ©ment vĂ©hiculĂ©s et renforcĂ©s par les films pornographiques[53]. Ceux-ci contribuent en effet Ă  glamouriser le viol et les agressions (Prince Yashua is Slaying Young Sluts, Ride or die, The Violation of Layton Benton) ; Ă  Ă©rotiser l’esclavage (Rocco’s perfect slaves 6, The submission of Emma Marx) ; Ă  sexualiser les enfants (Mandigon Teen Domination 04, Father’s Forbidden Fantasies2, Corrupt schoolgirls 09) ; Ă  dĂ©shumaniser et humilier les femmes et les filles (I’m Young, Dumb and Thirsty for Cum) et Ă  vĂ©hiculer des stĂ©rĂ©otypes racistes (Who Let The Black Man In?, Horny Black Mothers, Black Booty Anal Challenge)[54].

La culture pornographique vĂ©hicule donc, et ce largement, une image Ă©rotisĂ©e de la violence sexuelle envers les femmes. Tous les Ă©lĂ©ments de la culture pornographique contribuent grandement Ă  banaliser la violence sexuelle, Ă  en faire la norme, en promouvant des relations sexuelles oĂč la sexualitĂ© est entiĂšrement basĂ©e sur le plaisir masculin, oĂč les femmes sont toujours disponibles, oĂč un « non » se transforme toujours en « oui » et oĂč la violence sexuelle est Ă©rotisĂ©e[55]. Les scĂ©narisations de viols dans les vidĂ©os pornographiques et le non-respect constant du « non » de la femme » ont des rĂ©percussions sur l’idĂ©e que se font les jeunes de la notion de consentement[56].

Dans le cadre de l’étude « Beyond Silence », l’accent mis sur le plaisir de l’homme et les liens que les participantes ont Ă©tabli entre cet aspect, le droit sexuel de l’homme et la domination et le pouvoir, se retrouvent Ă©galement dans la façon dont les femmes ont parlĂ©, plus spĂ©cifiquement, des pratiques qui les dĂ©shumanisaient ou les dĂ©valorisaient ouvertement. Plusieurs femmes ont ainsi identifiĂ© la nature problĂ©matique de la pornographie et la façon dont elle conduit Ă  la dĂ©valorisation et Ă  la dĂ©shumanisation des femmes dans la sociĂ©tĂ© en gĂ©nĂ©ral[57].

La pornographie est un puissant outil de propagande au service de la culture du viol : l’expression est apparue pour la premiĂšre fois en 1974 sous la plume de Noreen Connell[58]. La culture du viol dĂ©crit une tendance Ă  minimiser voire Ă  nier l’expĂ©rience du viol et Ă  vouloir rĂ©habiliter voire excuser les agresseurs. Si le phĂ©nomĂšne n’est pas nouveau, la culture du viol dispose actuellement de nombre d’outils et de technologies pour se propager et s’immiscer dans nos vies[59]. La pornographie participe Ă©galement Ă  ce que le sociologue Johan Galtung appelle la « violence culturelle »[60] ; pour Nicola Gavey, la pornographie contribue Ă  « l’échafaudage culturel du viol », qui dĂ©signe la construction de normes et de pratiques culturelles qui soutiennent le viol ou en Ă©tablissent les conditions prĂ©alables[61].

3. Que faire ?

La quantitĂ© de pornographie et la difficultĂ© Ă  restreindre son accĂšs renforcent l’aspect primordial de la nĂ©cessitĂ© d’une discussion ouverte avec les enfants et adolescents pour insister sur le fait que la pornographie dĂ©peint souvent des expĂ©riences sexuelles malsaines dĂ©pourvues de tout rĂ©alisme[62].

Leila Frodsham, gynĂ©cologue consultante et porte-parole du Royal College of Obstetricians and Gynaecologists souligne Ă©galement la nĂ©cessitĂ© d’une meilleure Ă©ducation : selon elle, la pornographie donne aux enfants et aux jeunes une fausse impression de ce Ă  quoi ils peuvent s’attendre lorsqu’ils commencent Ă  avoir des relations sexuelles, et peut fixer des objectifs irrĂ©alistes aux garçons et aux filles lorsqu’il s’agit d’explorer leur sexualitĂ©[63]. Pour Denis Mukwege, « si nous manquons Ă  notre devoir d’éduquer les garçons au sujet du sexe, il est Ă©vident qu’ils vont conclure que la normalitĂ© se trouve dans les films classĂ©s X »[64].

Un sondage rĂ©cent intitulĂ© « Les français et l’éducation Ă  la vie sexuelle et affective pour lutter contre les violences » interrogeait les sujets liĂ©s Ă  la sexualitĂ© dĂ©jĂ  Ă©voquĂ©s avec les enfants. Parmi ces sujets, la consommation et les reprĂ©sentations liĂ©es Ă  la pornographie reprĂ©sentait un total de 18% auprĂšs des fils ; 16% auprĂšs des filles. Concernant les sujets Ă  aborder en prioritĂ© lors des cours d’éducation Ă  la vie sexuelle et affective, la consommation et les reprĂ©sentations liĂ©es Ă  la pornographie reprĂ©sentait un total de 23%[65]. Ce rappel d’une Ă©ducation indispensable rejoint la conclusion d’une Ă©tude longitudinale sur le lien entre consommation de pornographie et agression sexuelle effectuĂ©e auprĂšs d’élĂšves de collĂšge et de lycĂ©e interrogĂ©s cinq fois sur trois ans, qui insiste sur la nĂ©cessitĂ© d’une Ă©ducation sexuelle basĂ©e sur les mĂ©dias dĂšs le collĂšge[66].

[1] Christopher J. Ferguson et Richard D. Hartley, « Pleasure is Momentary
the Expense Damnable?: The Influence of Pornography on Rape and Sexual Assault », Aggression and Violent Behavior, Vol. 14, pp. 323–329, 2009, disponible sur : https://christopherjferguson.com/pornography.pdf.

[2] Silvia Bonino, Silvia Ciairano, Emanuela Rabaglietti et Elena Cattelino, « Use of pornography and self-reported engagement in sexual violence among adolescents », European Journal of Developmental Psychology, Vol. 3, pp. 265–288, 2006, disponible sur :

https://www.researchgate.net/publication/240237818_Use_of_pornography_and_self-reported_engagement_in_sexual_violence_among_adolescents.

[3] V. notamment : J. Briere, S. Corne, M. Runtz et N. Malamuth (1984) ; N. M. Malamuth et J. Check (1985) ; N. M. Malamuth (1986) ; J. Check (1996) ; L. F. Fitzgerald, F. Drasgow, C. L. Hulin, M. J. Gelfand et V. J. Magley (1997) ; Dine et al. (1998) ; G. M. Hald, N. M. Malamuth et C. Yuen (2000) ; D. A. Kingston, N. M. Malamuth, P. Fedoroff et W. L. Marshall (2009) ; G. M. Hald, N. M. Malamuth et C. Yuen (2010) ; Seto et al. (2010) ; D’Abreu et Krahe (2014) ; P. J. Wright, R. S. Tokunaga et A. Kraus (2015) ; W. L. Rostad, D. Gittins-Stone, C. Huntington, C. J. Rizzo, D. Pearlman et L. Orchowski (2019).

[4] Les chercheurs qui soutiennent que la pornographie rĂ©duit le risque d’agression sexuelle ou que tout effet est sans consĂ©quence font valoir une « formasturbatory catharsis » : W. A. Fisher et G. Grenier (1994) ; C. J. Ferguson et R. D. Hartley (2009) ; M. Diamond, E. Jozifkova et P. Weiss (2011).

[5] V. notamment : D. Linz et N. M. Malamuth (1993) ; W. A. Fisher et G. Grenier (1994) ; N. M. Malamuth et E. V. Pitpitan (2007) ; Samantha Martocci, « Examining the Relationship Between Pornography Consumption and Rape Myth Acceptance Among Undergraduate Students », University of Maryland, College Park, 2019 ; S. Gabe Hatch, Charlotte R. Esplin, Sean C. Aaron, Krista K. Dowdle, Frank D. Fincham, H. Dorian Hatch, Scott R. Braithwaite, « Does pornography consumption lead to intimate partner violence perpetration? Little evidence for temporal precedence », The Canadian Journal of Human Sexuality, Vol. 29, pp. 289–296, 2020.

[6] N. M. Malamuth et J. Ceniti (1986) : la consommation de pornographie inspirerait des comportements plus agressifs immĂ©diatement aprĂšs, mais ces effets se dissiperaient par la suite.

[7] N. M. Malamuth (2018) indique que la pornographie en elle-mĂȘme n’est pas susceptible de pousser les gens Ă  commettre des agressions sexuelles, mais en combinaison avec d’autres facteurs de risque, l’exposition Ă  certains types de pornographie (pornographie adulte ou enfantine non consentante) peut augmenter le risque de rĂ©sultats agressifs. Dans certains cas, N. M. Malamuth affirme que la pornographie peut en fait fonctionner comme un « point de basculement » et amener une personne Ă  risque qui n’agirait peut-ĂȘtre pas de maniĂšre agressive Ă  commettre effectivement un dĂ©lit sexuel agressif.

[8] A cet Ă©gard, W. A. Fisher et A. Barak recommandaient dĂšs 2001 de concentrer les recherches futures sur le dĂ©veloppement d’une Ă©chelle standardisĂ©e de consommation de pornographie, qui mesure la frĂ©quence et la durĂ©e de l’exposition, ainsi que le sujet-contenu choisi par le consommateur pour Ă©tudier les antĂ©cĂ©dents de maniĂšre prĂ©cise et approfondie.

[9] Il s’agit d’une mĂ©thode qui compile et synthĂ©tise les rĂ©sultats de diffĂ©rentes Ă©tudes, permettant d’augmenter la probabilitĂ© de trouver un rĂ©sultat statistiquement significatif et de tirer une conclusion globale.

[10] M. Allen, D. D’Allessio et T. M. Emmers-Sommer, 2000 ; E. Odone-Paolucci, M. Genuis et C. Violato, 2000 ; B. Gunter, 2002.

[11] P. J. Wright, R. S. Tokunaga, A. Kraus, « A Meta-Analysis of Pornography Consumption and Actual Acts of Sexual Aggression in General Population Studies », Journal Of Communication, 2015, Vol. 66, pp. 183–205, disponible sur : https://xyonline.net/sites/xyonline.net/files/2018-03/Wright, A Meta‐Analysis of Pornography Consumption and Actual Acts of Sexual Aggression 2015.pdf.

[12] Denis Mukwege, La force des femmes, BrochĂ©, 2021.

[13] Maria Michela Marzano-Parisoli et Claude Rozier, Alice au pays du porno : ados, leurs nouveaux imaginaires sexuels, Ramsay, 2005.

[14] Anne de Labouret, Christophe Butsraen, Catherine Julia, Parlez du porno Ă  vos enfants avant qu’internet ne le fasse, Thierry Souccar Editions, 2019.

[15] Â« Porno : l’enfer du dĂ©cor », Rapport d’information n° 900 (2021–2022) de Mmes Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, Laurence Cohen et Laurence Rossignol, fait au nom de la dĂ©lĂ©gation aux droits des femmes, dĂ©posĂ© le 27 septembre 2022, disponible sur : http://www.senat.fr/rap/r21-900-1/r21-900-1.html.

[16] N. M. Malamuth et J. Check (1981) ; Zillmann et Bryant (1989) ; J. Check (1996).

[17] Clarissa Smith, Feona Atwood et Martin Baker, Les motifs de la consommation de pornographie, 2015.

[18] Alan McKee, Catharine Lumby et Kath Albury, The Porn Report, 2008.

[19] L. Tarzia, et M. Tyler, « Recognizing Connections Between Intimate Partner Sexual Violence and Pornography », Violence Against Women, 2021, Vol. 27, pp. 2687–2708.

[20] Sondage IFOP « Les adolescents et le porno : vers une « GĂ©nĂ©ration Youporn » ? », 2017.

[21] Liz Dunphy, « Pornography leads to increased sexual violence, majority says », 2022, disponible sur : https://www.irishexaminer.com/news/arid-41015162.html. Nous avons volontairement Ă©cartĂ© de notre propos la pornographie « fĂ©ministe », susceptible d’ĂȘtre moins violente, car sa consommation est beaucoup moins reprĂ©sentative.

[22] E. M. Alexy et al., 2009 ; J. Price et al., 2016.

[23] M. J. Brem et al., « Problematic Pornography Use and Physical and Sexual Intimate Partner Violence Perpetration Among Men in Batterer Intervention Programs », Journal of interpersonal violence, Vol. 36, 2021.

[24] S. KĂŒhn, J. Gallinat, « Brain structure and functional connectivity associated with pornography consumption: the brain on porn », JAMA Psychiatry, Vol. 71, 2014 ; Kendra J. Muller, « Pornography’s Effect on the Brain: A Review of Modifications in the Prefrontal Cortex », Intuition: The BYU Undergraduate Journal of Psychology, Vol. 13, 2018.

[25] A. J. Bridges, R. Wosnitzer, E. Scharrer, C. Sun et R. Liberman, « Aggression and sexual behavior in best-selling pornography videos: A content analysis update », Violence Against Women, Vol. 16, 2010.

[26] Â« A landmark report by researchers confirms what we have known for years: pornography is, and encourages, sexual violence », 2021, disponible sur : https://cease.org.uk/a-landmark-report-by-researchers-confirms-what-we-have-known-for-years-pornography-is-and-encourages-sexual-violence/.

[27] Denis Mukwege, op. cit.

[28] Savanta ComRes, BBC 5 Live, Women’s Poll, 2019, disponible sur : https://comresglobal.com/wp-content/uploads/2019/11/Final-BBC-5-Live-Tables_211119cdh.pdf.

[29] Gail Dines a notamment Ă©crit l’ouvrage Pornland : Comment le porno a envahi nos vies (2010).

[30] Â« Porno : l’enfer du dĂ©cor », op. cit.

[31] Â« Aggression and Sexual Behavior in Best-Selling Pornography : A Content Analysis Update », Ă©tude de Robert J. Wosnitzer et Ana J. Bridges prĂ©sentĂ©e au 57e congrĂšs annuel de la International Communication Association Ă  San Francisco du 24 au 28 mai 2007.

[32] Â« Porno : l’enfer du dĂ©cor », op. cit.

[33] Ibid.

[34] Chapitre La Pornographie : toujours pas une histoire d’amour, au sein du 5e rapport mondial de la Fondation Scelles « SystĂšme prostitutionnel — Nouveaux dĂ©fis, nouvelles rĂ©ponses », 2019, disponible sur : https://www.rapportmondialprostitution.org/.

[35] Â« Porno : l’enfer du dĂ©cor », op. cit.

[36] Ibid.

[37] Cour suprĂȘme du Canada, Affaire Butler, 27 fĂ©vrier 1992.

[38] E. Donnerstein et L. Berkowitz, 1981 ; E. Donnerstein et J. Hallam, 1978 ; G. M. Hald et N. M. Malamuth, 2015 ; N. M. Malamuth, T. Addison et M. Koss, 2000 ; N. M. Malamuth et J. Ceniti, 1986 ; P. J. Wright, R. S. Tokunaga et A. Kraus, 2016.

[39] P. J. Wright, R. S. Tokunaga, A. Kraus, « A Meta-Analysis of Pornography Consumption and Actual Acts of Sexual Aggression in General Population Studies », op. cit.

[40] P. J. Wright, R. S. Tokunaga, A. Kraus, « A Meta-Analysis of Pornography Consumption and Actual Acts of Sexual Aggression in General Population Studies », op. cit.

[41] La violence sexuelle active vise ici le harcĂšlement sexuel, le fait de forcer quelqu’un Ă  avoir des rapports sexuels ; la violence sexuelle passive correspond Ă  l’inverse au fait d’avoir Ă©tĂ© harcelĂ© sexuellement ou forcĂ© Ă  avoir des rapports sexuels.

[42] Whitney L. Rostad, Daniel Gittins-Stone, Charlie Huntington, Christie J. Rizzo, Deborah Pearlman et Lindsay Orchowski, « The Association Between Exposure to Violent Pornography and Teen Dating Violence in Grade to High School Students », Archives of Sexual Behavior, n°7, 2019.

[43] L. Tarzia et M. Tyler, « Recognizing Connections Between Intimate Partner Sexual Violence and Pornography », op. cit.

[44] M. J. Brem et al., « Problematic Pornography Use and Physical and Sexual Intimate Partner Violence Perpetration Among Men in Batterer Intervention Programs », op. cit.

[45] Ibid.

[46] Michael Flood, « Pornography is a powerful sexual socialiser for young people », 2020, disponible sur : https://xyonline.net/content/pornography-powerful-sexual-socialiser-young-people.

[47] V. notamment Hanmer, 1977 ; Romito, 1997 ; Morbois, 2000. MarylĂšne Lieber, « Femmes, violences et espace public : une rĂ©flexion sur les politiques de sĂ©curitĂ© », Lien social et Politiques, NumĂ©ro 47, 2002, pp. 29–42, disponible sur : https://doi.org/10.7202/000340ar.

[48] Â« Porno : l’enfer du dĂ©cor », op. cit.

[49] Ibid.

[50] Ibid.

[51] Â« Violence envers les femmes, pierre angulaire de la domination masculine », MĂ©moire prĂ©sentĂ© Ă  la Commission des relations avec les citoyens dans le cadre des consultations particuliĂšres sur le Plan d’action gouvernemental 2008–2013 en matiĂšre d’agression sexuelle, Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle 24 mars 2015.

[52] Ibid.

[53] Ibid.

[54] Tous les titres sont tirĂ©s des meilleurs vendeurs du site Adult Movie News (AVN) pour le mois de fĂ©vrier 2015. Selon WikipĂ©dia « AVN est un journal commercial amĂ©ricain destinĂ© Ă  promouvoir l’industrie du cinĂ©ma pornographique ». Pour The New York Times, « le magazine AVN est au film pornographique ce que Billboard magazine est Ă  l’industrie du disque ». Il s’agit donc de films pornographiques extrĂȘmement populaires et non pas de niche.

[55] Â« Violence envers les femmes, pierre angulaire de la domination masculine », op. cit.

[56] Â« Porno : l’enfer du dĂ©cor », op. cit.

[57] L. Tarzia et M. Tyler, « Recognizing Connections Between Intimate Partner Sexual Violence and Pornography », op. cit.

[58] Noreen Connell, Rape: The First Sourcebook for Women, New York : New American Library, 1974.

[59] Â« Violence envers les femmes, pierre angulaire de la domination masculine », op. cit.

[60] Johan Galtung, « Cultural Violence », Journal of Peace Research, Vol. 27, pp. 291–305, 1990, disponible sur : https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0022343390027003005.

[61] Â« A landmark report by researchers confirms what we have known for years: pornography is, and encourages, sexual violence », op. cit.

[62] Denis Mukwege, op. cit.

[63] Nicolas Davis, « Is pornography to blame for rise in ‘rape culture’? », 2021, disponible sur : https://www.theguardian.com/world/2021/mar/29/is-pornography-to-blame-for-rise-in-culture.

[64] Denis Mukwege, op. cit.

[65] Â« Sondage Opinion Way pour La Maison des Femmes » rĂ©alisĂ© en ligne du 12 au 20 octobre 2022 auprĂšs d’un Ă©chantillon de 2025 personnes, reprĂ©sentatif de la population française ĂągĂ©e de 18 ans et plus, constituĂ© selon la mĂ©thode des quotas, au regard des critĂšres de sexe, d’ñge, de catĂ©gorie socioprofessionnelle, de catĂ©gorie d’agglomĂ©ration et de rĂ©gion de rĂ©sidence, disponible sur : https://www.lamaisondesfemmes.fr/assets-mdf/uploads/2022/11/opinionway-pour-maison-des-femmes-les-francais-et-leducation-a-la-vie-sexuelle-et-affective-pour-lutter-contre-les-violences-novembre-2022.pdf.

[66] E. A. Waterman, R. Wesche, G. Morris, K. M. Edwards et V. L. Banyard, « Prospective Associations Between Pornography Viewing and Sexual Aggression Among Adolescents », Journal of Research on Adolescence, Vol. 32, pp. 1612–1625, 2022.

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