Pour la plupart gratuites, les plates-formes du X cachent en réalité un Business Model juteux et bien rodé.
Les statistiques sur la consommation de pornographie sont étonnantes :
– le trafic sur les sites pornographiques est supérieur à celui de Twitter, Instagram, Netflix et LinkedIn réuni
– 4 des 10 sites les plus visités au monde sont des sites pornos,
Qu’en est-il de l’argent en jeu ? Sur ce point, les chiffres sont aussi difficiles à comprendre qu’approximatifs : 6 milliards par-ci, 97 milliards par-là… D’où sort cet argent ? Qui achète ? Qu’est-ce qu’on paie réellement ? Qui gagne cet argent ? Les sites pornos ne sont-ils pas tous gratuits ?
Autant de questions qui nécessitent une petite enquête.
Comprendre le Marketing publicitaire sur Internet
Pour comprendre comment les sites porno gagnent de l’argent, il faut d’abord jeter un œil au fonctionnement de la publicité sur internet.
En réalité, ces sites s’inspirent des méthodes de la célèbre plateforme YouTube, sauf qu’ils les appliquent à des contenus X. Connu mondialement, YouTube met à disposition des consommateurs une quantité énorme de vidéos dont l’écrasante majorité est en libre accès. Ce système draine chaque mois des milliards de consommateurs.
Mais comment générer de l’argent avec des vidéos gratuites ? C’est l’équation qu’a résolu YouTube en se tournant vers la bonne vieille publicité que nous connaissons bien. Qu’il s’agisse de YouTube, Facebook, Google, Instagram ou de sites pornographiques, ces plateformes sont gratuites, attirent des milliards de consommateurs et brassent des quantités astronomiques d’argent.
Leurs succès reposent sur le fameux principe :
“Si c’est gratuit, c’est que c’est toi le produit !”
En réalité, nous sommes tous le produit que vendent ces plateformes aux publicitaires. Plus exactement, c’est notre attention qui est vendue. Toutes les publicités que nous voyons sur ces plateformes sont produites par des agences publicitaires qui paient ces plateformes (Google, Instagram, Youtube, etc.) pour pouvoir s’y exprimer et capter notre attention ou nous renvoyer vers leurs magasins en ligne.
Une analogie dans la vie réelle
Dans le monde non numérique, notre attention peut être captée de bien des manières : publicités dans le métro, dans la rue, dans le bus, etc… Plus l’emplacement est exposé à des flux humains importants, plus il est cher.
Sur internet c’est exactement pareil :
1) Les sites (ou plateformes) sont comme des rues, des boulevards, des allées de métro, etc… Plus ils drainent de trafic, plus ils ont de valeur aux yeux des Publicitaires qui, dès lors, souhaitent pouvoir s’y faire entendre.
2) L’équivalent des panneaux publicitaires que l’on peut croiser dans les rues, ce sont les publicités au début des vidéos (pour YouTube par exemple), les bannières que nous voyons sur les côtés de certains sites, les résultats de recherche qui arrivent en premier dans les recherches (sur Google) ou bien encore les contenus sponsorisés (sur Instagram ou sur Twitter) renvoyant vers tel ou tel objet de consommation.
Ces emplacements, suivant leurs expositions, leurs formats, leurs tailles, leurs durées sont loués plus ou moins chers. Des places de marché dédiées gèrent leur attribution.
Ceux qui vendent les emplacements sont appelés Editeurs et ceux qui achètent ces emplacements sont les Publicitaires.
Qu’en est-il des sites pornographiques ?
Dans le business du porno, c’est le même fonctionnement mais ce sont des Éditeurs et des Publicitaires différents. Les Éditeurs des sites pornographiques proposent des emplacements aux différents Publicitaires de cette industrie.
Que proposent ces Publicitaires ? Il existe de nombreux « produits » payants dans le monde du porno. Certains existent depuis longtemps et d’autres, de plus en plus nombreux, sont récents. En voici quelques-uns :
– Les sites de services sexuels : différents modèles existent et le plus répandu est celui des sites de rencontres pour adultes. Dans tous les cas, arrive toujours un moment où un paiement est requis pour pouvoir continuer à utiliser les services proposés.
– Les « Cam Live » : la plupart du temps, il est nécessaire de payer pour voir la personne en live réaliser différents actes sexuels. Le paiement peut permettre également d’interagir avec elle.
– Les sites de « Fan Base » : pour devenir « fan » de l’actrice/acteur en question, il faut réaliser un paiement. Celui-ci permet d’accéder à un contenu exclusivement réservé aux fans.
– Les sex toys
– Beaucoup d’autres « produits » : réalité virtuelle, jeux vidéo, aphrodisiaques, etc…
Certains lecteurs peuvent être surpris que de tels « produits » génèrent vraiment de l’argent.
Si l’offre existe, c’est que la demande aussi.
En réalité, ces « produits » sont vendus sur certains sites, dans certains pays et à certains types de population. Si nous n’avons jamais vu ce genre de publicité, cela signifie que nous ne sommes pas dans la cible des Publicitaires qui recherchent une typologie de consommateurs bien précise.
Un ciblage par mots-clefs … ou la monétisation des fantasmes
En plus des critères d’exposition, de taille, de durée (et autres) relatifs aux emplacements publicitaires, il est aussi possible de définir des critères pour cibler des populations précises. Ces critères sont par exemple les mots-clés recherchés par les internautes. Pas besoin de faire un dessin, ces mots-clés sont en fait les fantasmes des consommateurs.
Ainsi, les Publicitaires vont chercher à proposer leurs produits aux internautes qui ont tels ou tels fantasmes (déduits à partir de leurs recherches par mots-clefs) pour leur en proposer d’autres sur leurs sites … payants !
Plusieurs types de facturation
Il existe différents modèles de revenu entre Editeurs et Publicitaires. Le plus courant est le CPM (cost per mille). Il désigne combien doit payer un Publicitaire pour que sa publicité soit vue 1000 fois. Plus il paie, plus elle sera diffusée et donc vue.
Un autre modèle est le Pay per Sales (PPS) : si, après avoir cliqué sur une publicité, le visiteur achète le produit du Publicitaire, celui-ci doit reverser une partie de son bénéfice à l’Editeur. Dans le cas de quasi-monopole de MindGeek (voir ci-dessous), le pourcentage peut monter jusqu’à 70% ! L’entreprise peut se permettre de demander de telles commissions car elle met à disposition des Publicitaires un potentiel de visibilité incomparable pour leurs produits. Ce sont des millions de consommateurs qui vont visionner ces publicités. Contourner MindGeek s’avère le plus souvent moins profitable, malgré les commissions élevées.
L’offre Premium pour remplacer les publicités
À l’instar de plateformes connues du grand public (Youtube, Spotify, Netflix), de nombreux sites pornographiques proposent une offre Premium pour ne plus voir de pub et avoir accès à du contenu supplémentaire “de qualité”. Ce type d’offre se démocratise et certains sites ne manquent pas d’en faire la promotion : Pornhub a proposé un service Premium (à 10$ /mois en temps normal) gratuitement aux Italiens au début de la crise COVID-19.
Par ailleurs, depuis Mars 2020, de nombreuses études convergent pour constater que la crise COVID-19 a engendré une augmentation de la consommation de vidéos pornographiques.
Des emplacements à l’attractivité croissante
Techniquement, des Publicitaires de produits non-associés à l’industrie pornographique tels que des vêtements ou des chaussures pourraient louer des emplacements sur les sites pornographiques de la même manière qu’ils le font sur YouTube ou Instagram. Pourquoi ne le font-ils pas ? Ils souhaitent simplement protéger leur image en refusant d’être associés au “monde du porno”.
Cependant, de plus en plus d’entreprises passent le cap. Aux États-Unis on a pu voir sur des sites pornographiques des publicités pour se faire livrer de la nourriture, en jouant notamment sur la notion de plaisir. En France, les premiers à passer le cap sont issus de l’industrie du jeu vidéo.
L’arrivée de ces nouveaux Publicitaires contribue à rendre l’industrie pornographique encore plus lucrative.
Un monopole
Une seule et même entreprise possède la majorité des plus gros sites pour adultes.
Cette entreprise s’appelle MindGeek. En situation de quasi-monopole, son pouvoir est immense.
En plus de posséder les Editeurs drainant le plus de trafic, MindGeek est propriétaire de la plus grosse “place de marché” de vente/achat d’emplacements publicitaires sur les sites pour adultes : TrafficJuncky.
Sur la page d’accueil de TrafficJuncky, l’entreprise exprime très clairement le potentiel de son offre : “130 millions de visiteurs se connectent quotidiennement sur notre site … vous pourriez y afficher vos publicités !”
Par ailleurs, sur la toile, MindGeek se pare des atouts d’une entreprise à la pointe de la technologie : “Nous sommes une équipe brillante et plurielle, expertes dans divers domaines de l’industrie technologique”.
De fait, les places de marché d’emplacements publicitaires et les sites pornographiques sont le lieu de transfert de volumes de données astronomiques. La part de technicité inhérente à ce type de systèmes est conséquente. Ainsi, les publicitaires qui s’y expriment tout comme les ingénieurs qui construisent et maintiennent ces plateformes ne traitent presque plus de pornographie mais uniquement de technique : tout n’est plus que statistiques, mots-clés et rentabilité.
D’aucuns pourraient croire que MindGeek est une entreprise de conseil en IT. Mais non, il s’agit simplement de geeks qui ont trouvé dans l’industrie pornographique des opportunités très lucratives …
Quelques chiffres sur cette industrie très secrète
Aller dans le détail des revenus générés par les acteurs économiques du monde de la pornographie est difficile. Les sources sont peu nombreuses et les données sont très hétérogènes, et souvent cachées. On ne compte plus le nombre de journalistes ayant cherché à mettre en lumière les ficelles de ce monde bien lucratif, souvent en vain. Par exemple, le chiffre d’affaire officiel de MindGeek en 2018 est de 460 millions de dollars mais représente-t-il vraiment la réalité alors que le groupe MindGeek est connu pour sa structure tentaculaire et opaque ?
Aussi, un petit calcul d’ordre de grandeur peut nous permettre d’estimer le flux financier sur la place de marché TrafficJunky en réduisant le calcul à la seule plateforme Pornhub qui est la plus volumineuse :
En comptant le nombre “d’impressions” journalières officiellement avancé de 3 milliards et en utilisant une moyenne des quelques chiffres publiquement affichés pour estimer le prix des emplacements (CPM), on obtient un ordre de grandeur de 600k$ de chiffre d’affaire par jour1.L’addiction, la garantie d’un business model solide
Notons que ce qui rend cette industrie si profitable, c’est le nombre et l’assiduité de ses utilisateurs. Ces deux facteurs reposent sur un ressors puissant : l’addiction.
L’addiction est malheureusement garante d’un modèle économique stable et durable pour de nombreuses industries : il n’est pas bien difficile de vendre un produit à un addict … celui-ci est bien incapable de refuser car il en a “besoin” !
Le salaire des acteurs porno
Les acteurs et actrices sont la « matière première » de cette industrie. Depuis l’essor des “tubes” (les grosses plateformes de vidéos pornographiques en partie gratuites) les conditions de travail et la rémunération des acteurs porno se sont considérablement dégradés. La profession, jadis relativement lucrative et faisant l’objet d’une certaine notoriété, est maintenant plus précaire et souffre d’une forme d’ubérisation.
Tous responsables
Il est important de comprendre que toute visite d’un site pornographique, même si elle ne se solde pas par un achat, est une pierre apportée à l’édifice : cela génère du trafic, valorise la plateforme auprès des publicitaires et fait fonctionner tout ce système. Et qui sait si un jour nous ne nous mettrons pas à payer ?
Résumons …
Une industrie en situation de quasi-monopole qui tire profit de centaines de millions de visites quotidiennes de personnes, souvent addicts, qui viennent voir d’autres milliers d’hommes et surtout de femmes vendre bien laborieusement leur corps dans de mauvaises conditions pour quelques sous (cf l’article Est-il dangereux de devenir acteur/actrice porno ?), le tout finement orchestré par de malins geeks se parant d’une belle image d’ingénieurs de pointes … voulons-nous vraiment participer à ce système ?
[1] CPM de 0.2 cost per mille