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Est-il dangereux de devenir acteur/actrice porno ? [Partie 2]

Est-il dangereux de devenir acteur/actrice porno ? [Partie 2]

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“A un moment, je me suis mise à pleurer. Je n’avais plus d’argent, plus d’amis, plus de famille. Je n’avais qu’une bouteille d’alcool dans les mains. La pornographie m’a tout pris.”

« Les actrices, c’est de la chair à canon. Elles sont complètement englouties dans une détresse affective. Et c’est des victimes. Mais t’es victime dans le porn comme t’es victime de faire caissière au supermarché. Moi j’ai pas de pitié pour les victimes. Si t’es perdue, t’es perdue. » explique Dimitri Largo, rédacteur durant 7 ans en chef du magazine Hot Vidéo1.

Le porno affecte les corps de ceux et celles qui en sont la matière première. Mais le porno affecte aussi leur psychologie. En effet, de nombreux acteurs/actrices témoignent des situations troublantes qu’ils ont pu rencontrer lors de tournages et en fréquentant ce milieu professionnel. Beaucoup disent avoir encore des séquelles, longtemps après avoir quitté cette industrie.

Pour la psychiatre Muriel Salmona, les acteurs/actrices s’en sortent grâce à la dissociation, c’est-à-dire en refoulant leurs souvenirs et leurs émotions. Mais ce palliatif a un prix et peut altérer la sensibilité et le jugement. Il peut notamment rendre les relations amoureuses plus compliquées. De plus, la dissociation « est également corporelle et entraîne des difficultés à percevoir les signes d’alerte et de souffrance, avec un seuil trop élevé de tolérance émotionnelle à la douleur et au stress2. »

La pression psychologique subie par les actrices/acteurs est parfois tellement forte que l’irréversible peut arriver. Ainsi, de nombreuses actrices, après être tombées dans l’alcoolisme ou la drogue se sont suicidées. August Ames, actrice porno montante aux Etats-Unis en 2017, est l’une d’entre elles. Quelques jours avant son suicide, elle décrivait par texto à l’une de ses amies, une scène qu’elle venait de tourner : « Hier, c’était pas du tout pro. Il a été hyper brutal avec moi. Il m’a traîné dans tous les sens, m’a immobilisée avec mes collants et m’a cogné la tête sur la table. J’étais paniquée. J’ai eu l’impression de me faire violer3. » Elle fait partie des cinq actrices porno décédées sur les trois premiers mois de l’année 2018, soit d’overdose, soit de suicide, soit dans des circonstances inconnues… « Ces actrices étaient jeunes, voire très jeunes. Pour faire ce métier, il faut être très forte, blindée. Certaines de ces femmes n’étaient peut-être pas très heureuses avant d’entrer dans le porno et ce milieu n’aide pas quand on ne va pas bien » explique une ancienne actrice4. Une autre de ces femmes, 20 ans, au succès fulgurant, expliquait avant sa mort qu’elle ne savait pas vraiment pourquoi elle avait fait du porno. « J’ai été approchée un jour. Une femme m’a donné sa carte, et là tout est allé très vite et j’ai été projetée dans cette industrie5. »

Brutalisation et violence psychologique : une norme dans le porno

A l’évidence, ces exigences ne favorisent pas l’exercice serein de cette profession souvent éprouvante. Son impact sur le corps est bien réel. Beaucoup d’acteurs et d’actrices décrivent par exemple une perte brutale de l’estime de soi. Une actrice américaine décrit sa brève expérience dans l’industrie pornographique comme une descente aux enfers. Elle décrit dans une interview comment elle a été approchée, manipulée et trompée pour entrer dans l’industrie. Elle n’avait aucun droit de regard sur les contenus des vidéos dans lesquelles elles tournaient. Certaines de ces vidéos lui ont d’ailleurs valu des menaces de mort. Les réalisateurs avec qui elle travaillait ne la prenaient pas au sérieux. Selon ses dires, elle n’était à leurs yeux « qu’une machine à faire de l’argent. » Aujourd’hui, elle souffre encore de cette expérience : « J’ai l’impression que les gens peuvent voir à travers mes vêtements. J’ai perdu le droit à mon intimité. » De fait, elle n’a pas de droits sur ses vidéos qui resteront sur internet probablement durant toute sa vie6.

Aujourd’hui, du fait de la structure même de l’industrie pornographique, on assiste à une brutalisation des scènes. Internet a profondément modifié les business model de la pornographie. Très peu de films sont encore tournés avec de gros moyens de production et de scénarisation… Les hubs récupèrent la plupart des gains générés par cette industrie et le porno amateur se développe rapidement : « Tout le monde a commencé à s’exhiber gratos sur la Toile. Plus particulièrement en France, les gens ne veulent plus payer pour voir du X. Ils se contentent des vidéos amateurs gratuites, qu’un nombre impressionnant de gens aura bien voulu partager via leur caméra basse qualité » affirme Lou Charmelle7. L’ensemble de ces facteurs entraine des transformations profondes dans les tournages des films pornographiques mainstream les plus récents.

Pour se distinguer, les réalisateurs traditionnels de films pornographiques, doivent proposer aujourd’hui des pratiques plus hard avec des budgets de plus en plus serrés8, (tournées souvent dans de mauvaises conditions) afin de générer de l’audience. La sécurité des acteurs/actrices n’est plus une priorité. Les scenarii ont disparu au profit du format « gonzo » qui représente aujourd’hui 99,9% des productions pornographiques. Ces films sont souvent réalisés caméra au poing et constitués principalement de zooms sur les parties génitales9. Cette obsession du hard pour générer de l’audience mène immanquablement à une escalade de la violence10. C’est ce qu’explique Lou Charmelle : « Aujourd’hui, il y a des choses que je n’apprécie pas plus que ça, comme les crachats, les éjaculations buccales… Mais ce sont des choses auxquelles on ne peut pas échapper quand on fait du gonzo, notamment à l’étranger11. » Les pratiques déviantes tendent donc à se normaliser. « Plus c’est glauque, plus la fille a l’air de se demander ce qu’elle fait là, plus ça marche » affirme Judy, une actrice interrogée par Robin d’Angelo12.

Outre la banalisation de la sodomie, certains réalisateurs cherchent à repousser les limites du corps humain. Des sites pornographiques se sont même spécialisés dans les pratiques extrêmes tels que le sadomasochisme. Ces pratiques sont bien évidement à risques, que ce soit pour les hommes ou pour les femmes. Parfois « il faut opérer les gens en urgence » explique le Dr Nicolas Lemarchand13. Cette violence physique est aussi une violence psychologique et il faut parfois de nombreux jours pour que les actrices/acteurs s’en remettent.

Viol réel ou scénarisé ? La frontière est mince

De nombreuses actrices témoignent aujourd’hui des abus qu’elles subissent durant des scènes au cours desquelles de nombreuses limites sont franchies. Certaines sont étranglées, étouffées, d’autres sont la cible d’un déchainement de violence à la fois physique et verbale.

Cet accroissement de la violence concerne à la fois le monde du porno amateur et les grandes sociétés de production. Une actrice raconte avoir été ainsi victime de violences sur un tournage d’une célèbre firme. Alors qu’une des scènes était décrite comme soft elle a glissé petit à petit vers le hard sans que l’actrice n’en soit prévenue. Malgré ses plaintes, le réalisateur a refusé de couper la caméra14. Certains acteurs/actrices sont aussi victimes de violence en dehors des plateaux. Une actrice française a ainsi été violée en dehors de son travail après avoir été reconnue15.

Certains acteurs/actrices ont besoin de temps pour se remettre de scènes difficiles. Dans son livre, Robin d’Angelo raconte une scène où « une femme, comme anesthésiée, se fait humilier et violenter par une trentaine de mecs. Un rendez-vous chez le médecin et deux jours de repos lui seront nécessaire pour se remettre de cette scène extrême16.

Le viol est de plus en plus présent dans les films pornographiques. Il est symptomatique de l’augmentation de la violence dans l’industrie. De nombreuses études et témoignages démontrent qu’il faut beaucoup de temps pour se remettre d’un viol, même scénarisé, filmé ou non. Cette violence physique et psychologique diminue aussi les chances de rebondir après un passage dans l’industrie pornographique.

Se reconstruire après le porno

Être acteur ou actrice porno, ne serait-ce que pour une courte durée, laisse des traces à vie et certains ont besoin de beaucoup de temps pour « passer à autre chose. » Il y a tout d’abord les traces de sa personne sur internet qui, a priori, ne seront jamais effacées. Il y a ensuite les souffrances psychologiques, les souvenirs perturbants, les anxiétés, parfois les séquelles physiques et une intimité sexuelle et amoureuse endommagée. Greg, ancien acteur porno, explique que la pornographie l’a empêché de développer des relations amoureuses avec des femmes et de les aimer sincèrement17. Pour fuir ce profond mal-être que lui inspirait sa carrière d’acteur, il est tombé dans la drogue. Pour en acheter, il devait travailler et continuer de faire ce métier. Greg est ainsi tombé dans un terrible cercle vicieux. Il est finalement parvenu à quitter l’industrie. L’ancienne pornstar Jessica a partagé une expérience similaire. Elle ne se sentait plus en possession de son corps. Cette douloureuse expérience l’a conduite petit à petit vers l’alcoolisme18. « A un moment, je me suis mise à pleurer. Je n’avais plus d’argent, plus d’amis, plus de famille. Je n’avais qu’une bouteille d’alcool dans les mains. La pornographie m’a tout pris. » Jessica a finalement tourné la page de la pornographie à l’aide de sa famille. L’ancien acteur et réalisateur de film pornographique français, Hervé-Pierre Gustave parle aujourd’hui de son ancien métier sans faux semblant : « Je me suis assis sur une part de mon humanité19

Il est très difficile de durer dans l’industrie pornographique en raison des exigences inhabituelles de ce métier. La plupart des acteurs/actrices ont d’ailleurs une courte carrière. Cela s’explique « par une dévalorisation rapide des compétences acquises et la difficulté d’assumer, dans l’espace public, une image qui suscite le désir et la violence… » explique Mathieu Trachman20. Il faut donc rapidement penser à l’après-porno. Mais la reconversion leur semble parfois impossible et la plupart se sentent enfermés dans cet univers. Une célèbre actrice américaine explique qu’après un passage de seulement trois mois dans l’industrie pornographique, elle se sent aujourd’hui victime de stress post-traumatique. Elle dit avoir peur de sortir de chez elle et d’être reconnue. Elle craint enfin que des enfants tombent sur ses vidéos et la reconnaissent21. Il en va de même pour une actrice française qui, après six ans dans le porno, a décidé d’arrêter. Sa vie est devenue un cauchemar : « On est totalement exclue de la société. Quand j’habitais en province, je me faisais insulter dans la rue. Cinq garçons s’arrêtaient dans une voiture en me disant « Je vais te faire ci, je vais te faire ça… » J’ai reçu des menaces de mort sur les réseaux sociaux et nous n’avons aucun soutien22. ». Aujourd’hui, cette ancienne actrice est mère d’une petite fille et semble tourner la page malgré des harcèlements réguliers.

[1] Lorriaux Aude, Vous n’aurez plus du tout envie d’aller sur YouPorn après avoir lu ce livre, Slate, 22/10/2018

[2] Lorriaux Aude, ibid

[3] Lorriaux Aude, ibid

[4] Dancourt Anne-Charlotte, « Décès dans le porno aux Etats-Unis : Certaines actrices tombent de haut », Le Parisien, 26/01/2018

[5] « L’étrange mort d’Olivia Nova, jeune star du porno », Paris Match, 11/01/2018

[6] « Mia Khalifa, BBC Hardtalk 2019 », vidéo YouTube postée le 17 septembre 2019

[7] « Lou Charmelle, actrice X : « On ne baise pas comme on le veut » », Rue 89, 15/11/2016

[8] Les tarifs ont été divisés par deux en dix ans selon Ovidie, réalisatrice de films pornographiques

[9] Lanlo Jean-Marie, « Entrevue avec John B. Root et Nikita Bellucci », Cinéflic, 19/10/2013

[10] « Leigh Raven et Riley Nixon témoignent d’agressions sexuelles sur un tournage », Le Tag parfait, 13/03/2018

[11] Ibid.

[12] D’Angelo Robin, 2018 Judy, Lola, Sofia et moi. 2018

[13] « Docteur, quels sont les risques liés aux pratiques anales extrêmes ? », Le Tag Parfait, 10/07/2013

[14] « Accusations de mauvais traitements sur le plateau d’Evil Angel », La Voix du X, 11/08/2018

[15] Chartier Claire, Le viol et Nous. Enquête sur un fléau social, 2019

[16] Lorriaux Aude, « Vous n’aurez plus du tout envie d’aller sur YouPorn après avoir lu ce livre », Slate, 22/10/2018

[17] « Most Successful Male Performer Of All Time Speaks Out On Porn », Fight the New Drug, vidéo YouTube publiée le 18 juin 2015

[18] « Jessica’s Story: My Life As A Porn Star », Fight the New Drug, vidéo YouTube publiée le 19 août 2015

[19] Caravano Jean-Pascal, « Un bon acteur X, c’est souvent quelqu’un qui n’a pas de succès dans sa vie privée », Causeur, 21/12/2019

[20] Trachman Mathieu, Le travail pornographique — Enquête sur la production de fantasmes, 2013

[21] « Mia Khalifa Tells Her Story for the First Time », Megan Abbott, vidéo YouTube publiée le 4 août 2019

[22] « Interview : Nikita Bellucci, ancienne actrice porno », Konbini, vidéo YouTube publiée le 27 février 2018

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