La pratique du Revenge Porn est désormais courante sur internet. We Are Lovers a mené l’enquête pour mieux comprendre ce phénomène.
Quelles pratiques ? Dans quel but ?
Le Revenge porn ou pornodivulgation en français est une pratique consistant à publier des images sexuellement explicites d’une personne à son insu1. Il peut avoir différents objectifs : vengeance personnelle, attaque d’une personnalité publique, cyberharcèlement, etc… C’est une pratique violente en recrudescence depuis ces dernières années, mais ignorée par le code pénal jusqu’en 2016, date à laquelle le revenge porn est considéré comme un délit sévèrement puni par la loi. « L’affaire Griveaux », très médiatisée, illustre bien à quel point cette pratique est nocive pour la victime : sa dignité, sa vie professionnelle mais également relationnelle et familiale sont touchées.
Cette pratique s’ancre dans le contexte d’une banalisation de la nudité et de la démocratisation de la pornographie, d’où le nom évocateur de revenge porn. Cette banalisation de la nudité s’observe dans les films, les séries, la publicité, les clips, les réseaux sociaux, ou encore l’accès de plus en plus simple et immédiat à des sites pornographiques. Dans ce cadre, le revenge porn pourrait sembler banal. Pourtant, il est sévèrement répréhensible par la loi. Quelles sont les conséquences de cette pratique et comment s’en sortir lorsqu’on en est victime ?
Ce que dit la loi française sur le revenge porn
Le délit de revenge porn a été introduit tardivement en France, par la loi du 7 octobre 2016. Il s’agit de la Loi Lemaire, dite « pour une République numérique. » Elle vient punir certains délits très spécifiques cités ci-dessous.
L’article 226–1 du code pénal prévoit un an d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende en punition au fait de « volontairement porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui :
– En captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel ;
– En fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé ».
Attention, cet article est complété par la disposition suivante : « Lorsque les actes mentionnés au présent article ont été accomplis au vu et au su des intéressés sans qu’ils s’y soient opposés, alors qu’ils étaient en mesure de le faire, le consentement de ceux-ci est présumé ».
L’article 226–2 du code pénal prévoit quant à lui les mêmes peines pour « le fait de conserver, porter ou laisser porter à la connaissance du public ou d’un tiers ou d’utiliser de quelque manière que ce soit tout enregistrement ou document obtenu à l’aide de l’un des actes prévus par l’article 226–1 ».
Afin de lutter contre le revenge porn, le législateur est venu apporter une avancée majeure en matière de protection du droit à l’image. Depuis lors (voir l’article 226–2–1 du code pénal), « lorsque les délits prévus aux articles 226–1 et 226–2 du code pénal portent sur des paroles ou des images présentant un caractère sexuel prises dans un lieu public ou privé, les peines sont portées à deux ans d’emprisonnement et à 60 000 € d’amende ». Bref, de quoi couper l’envie d’adopter ce genre de pratiques.
Le caractère sexuel du contenu enregistré est une circonstance aggravante, venant augmenter le montant de la sanction. Le texte va plus loin : « est puni des mêmes peines le fait, en l’absence d’accord de la personne pour la diffusion, de porter à la connaissance du public ou d’un tiers tout enregistrement ou tout document portant sur des paroles ou des images présentant un caractère sexuel, obtenu, avec le consentement exprès ou présumé de la personne ou par elle-même. »
Cet article met en exergue deux consentements différents : le consentement à la captation du contenu à caractère sexuel, et le consentement à la diffusion du contenu à caractère sexuel.
La victime est donc protégée par la loi. Cependant, il y a un « mais » qui peut compliquer considérablement les procédures.
Une protection juridique limitée
La victime est protégée, il est vrai. Néanmoins, il convient de rappeler que la personne victime de revenge porn devra rapporter la preuve de l’atteinte à son image et du non-consentement concernant la captation et la diffusion du contenu. Ce qu’il faut retenir, c’est que le revenge porn s’inscrit dans ce que la loi française appelle les cyber-délits. Or, dans ce domaine, la preuve est difficilement rapportable et fait l’objet d’un formalisme relativement pesant. La victime osera-t-elle réaliser une capture d’écran, puis faire appel à un huissier pour constater l’infraction pour ensuite effectuer une démarche auprès de l’hébergeur de chaque site internet et de chaque réseau social sur lesquels le contenu à caractère sexuel lui causant du tort a été publié ? En aura-t-elle la force et les moyens ?
Pour donner une idée du travail que la victime aura à accomplir pour lancer la procédure juridique, voici une synthèse de l’article 6 de la Loi pour la Confiance dans l’Économie Numérique (LCEN) qui liste l’ensemble des étapes. Les éléments mentionnés ici ne sont qu’une petite partie du travail à accomplir (qu’il faudra compléter par des travaux d’enquête et d’expertise). Il convient de s’adresser d’abord à l’auteur ou l’éditeur du contenu litigieux (si son adresse de contact est fournie par exemple), ou à défaut l’hébergeur à qui il faudra indiquer les éléments suivants :
• Les coordonnées de la victime (personnelles ou celles de la société si on agit à titre professionnel)
• Le nom et l’adresse de la personne à qui on s’adresse (siège social pour une entreprise)
• La nature des faits litigieux et leur localisation sur Internet (une URL, un numéro ou autre identifiant d’article ou de commentaire, selon le contexte et la plateforme d’hébergement)
• La description des bases juridiques et factuelles qui font que le contenu identifié est illégal (citation des articles de loi correspondants et en général des mots ou de l’élément précis qui revêtent un caractère illégal)
• Copie de l’échange avec l’auteur ou l’éditeur du contenu, ou à défaut justification de la raison pour laquelle on n’a pas pu le contacter.
Et pour couronner le tout, le contenu litigieux reste bien évidemment en ligne le temps de la procédure de constatation de la preuve2. Cela n’arrêtera bien évidemment pas la propagation du contenu illégal sur les réseaux sociaux, ce pourra même être le contraire. De plus, il est difficile de compter sur le droit à l’oubli pour faire déréférencer le contenu illicite sur les moteurs de recherche, car les publications peuvent être consultées par d’autres moyens en utilisant le dark web par exemple ou d’autres méthodes furtives. Comme le rappelle Gérard Haas, plus le contenu illicite reste consultable sur le net, plus il est partagé et plus il devient difficile de le supprimer de la toile.
Qu’en est-t-il de l’hébergeur ? En temps normal, celui-ci ne fera rien pour la victime. Premièrement, l’article 6.3 de la LCEN énonce que les personnes, physiques ou morales, assurant le stockage d’images pour mise à disposition du public « ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d’un destinataire de ces services si elles n’avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère. » Il va de soi que les internautes souhaitant diffuser des images ou vidéos de revenge porn ne vont pas alerter les hébergeurs de l’illicéité de leur pratique.
Deuxièmement, le point 7 de l’article 6 LCEN stipule que les hébergeurs de contenus ne sont pas soumis à une obligation générale de surveiller les informations qu’elles transmettent ou stockent, ni à une obligation générale de rechercher des faits ou des circonstances révélant des activités illicites, à moins que cette activité de surveillance soit demandée par l’Autorité judiciaire.
Par conséquent, la victime sera protégée par la loi uniquement si elle parvient à prouver l’illicéité du ou des contenu(s). L’hébergeur ne l’assistera pas dans cette démarche (une activité de recherche des faits ou circonstances révélant des activités illicites serait trop couteux pour lui d’un point de vue économique). La victime ne peut donc compter que sur elle-même pour dénoncer les contenus illicites la concernant.
Vous êtes votre meilleure protection ! Ne vous laissez pas filmés par n’importe qui dans n’importe quelle condition, qu’il s’agisse d’une société de production ou d’un partenaire, les conséquences sont catastrophiques. Dans ce domaine, les frontières entre le privé et le public sont plus floues qu’on ne le pense. Aux États-Unis, Holly Jacobs, elle-même victime de revenge porn, fait face depuis plusieurs années aux défaillances du système juridique américain sur ce sujet. Elle témoigne dans un court reportage issu de l’émission L’Effet Papillon3.
Le porno amateur, à bien des égards, fait également de nombreuses victimes du fait de ce flou juridique. Bien qu’il présente des problématiques différentes de celles du revenge porn, ces deux univers partagent de nombreux points communs. A ce titre, les témoignages de deux actrices ayant tenté « l’aventure » du porno amateur chez Jacquie et Michel, sont éloquents4. Elles dénoncent l’atteinte à leur dignité, la diffusion inarrêtable des vidéos qu’elles ont tournées et l’absence de recours. Pour couronner le tout, elles sont régulièrement la cible de menaces de mort et d’insultes.
Derrière le revenge porn, un gagnant : l’industrie pornographique
Au même titre que les journaux papiers, les journaux télévisés et bien évidemment les sites internet (comme YouTube), les sites pornographiques sont des plateformes bifaces à part entière : les éditeurs se font rémunérer par la publicité. Les consommateurs quant à eux payent parfois pour accéder aux contenus. Cela permet par ailleurs aux hébergeurs de sites pornographies de collecter des données importantes sur les consommateurs.
Plus les nombres de vues augmentent, plus les annonceurs sont prêts à payer davantage l’hébergeur pour faire paraître leurs publicités sur les sites. Afin d’augmenter le nombre de vues, les hébergeurs (comme Pornhub) doivent proposer de la nouveauté et de la variété. C’est pour cette raison qu’ils proposent aux internautes de poster librement les vidéos sur leur(s) plateforme(s) afin de générer de grande quantité de contenus sans bien sûr les contrôler car cela leur demanderait trop de temps et d’argent. Avec ces éléments, on comprend mieux pourquoi les hébergeurs font reposer la responsabilité des contenus sur les internautes. Ce qui est certain, c’est que pour les hébergeurs, toutes les vidéos sont bonnes à prendre, y compris celles issues du revenge porn, de plus en plus nombreuses et générant de nombreuses vues.
Vous le savez maintenant, l’hébergeur ne fera rien pour vous protéger.
Pour aller plus loin sur le revenge porn et le cyberharcèlement, le Ministère de l’Education Nationale , de la Jeunesse et des Sports a créé un site internet sur ces questions5. On consultera avec intérêt la page dédiée à la question du sexting et du revenge porn6.
Des initiatives pour les victimes
De nombreuses solutions sont proposées afin de lutter contre le revenge porn et venir en aide aux victimes. L’association stop.fisha par exemple est présente sur Instagram pour lutter contre le cybersexisme7. Elle propose des rubriques concernant la prévention et les plaintes. À ce jour, la page enregistre 15300 abonnés. Facebook a, pour sa part, créé un système de lutte contre le revenge porn. Grâce au machine learning et à l’intelligence artificielle, le fameux réseau social est en mesure de détecter des images ou vidéos présentant de la nudité et diffusées sans autorisation sur les réseaux sociaux. Enfin, l’association e-Enfance a pour ambition de protéger les enfants et les jeunes dans leur utilisation d’Internet. Cette association, créée en 2005 et reconnue d’utilité publique, propose un numéro national (le 0 800 200 000) gratuit et confidentiel pour répondre aux questions des parents, enfants ou professionnels et les seconder dans leurs démarches. L’association aurait entrepris un rapprochement avec SnapChat pour lutter contre le revenge porn8. Des outils existent donc tandis que d’autres sont en cours de développement. Si vous êtes victime de revenge porn, contactez les services spécialisés afin de vous faire aider.
[1] Article de Gérard Haas et Aurélie Puig, Affaire Griveaux, Revenge porn… mais légalement, comment ça marche ? (haas-avocats.com)
[2] Ibid.
[3] Voir le reportage « Etats-Unis : Revenge Porn, la vengeance par le porno — L’Effet Papillon »
[4] Voir l’interview Konbini « Les dessous du porno amateur »
[5] Site internet du Ministère de l’Education Nationale sur le harcèlement
[6] Page spécialisée sur le revenge porn et le sexting.
[7] Le terme fisha ou ficha vient de l’expression « se taper l’affiche ».
[8] On peut consulter sur ce point l’article d’Air of Melty datant du 4 juin 2020