La réponse ne va pas vous surprendre.
Le nombre de femmes qui regardent de la pornographie ne cesse d’augmenter depuis ces dernières années. Cependant, les hommes restent les consommateurs les plus importants. Quelques chiffres :
Un sondage mené par l’Ifop pour la société de production Marc Dorcel en 2012 révèle que 82% des Françaises confirment avoir déjà regardé un film X en partie ou dans son intégralité1. D’après une étude de l’Inserm sur la sexualité, elles étaient seulement 23% en 19922. Ce même sondage montre que 18% en consomment régulièrement ou de temps en temps contre 63% chez les hommes. Du côté des Américaines, trois femmes sur dix déclarent regarder une fois par semaine du porno et 10% chaque jour, selon une étude du journal Marie-Claire de 20153.
Les statistiques de PornHub indiquent quant à elles que les femmes représentent 32% du trafic mondial sur le site en 2019 contre 26% en 20164,5. Cette augmentation de la proportion des utilisatrices est d’autant plus importante lorsque l’on considère que les hommes eux aussi regardent de plus en plus de porno. Cela s’explique en partie par l’accès facilité aux sites X sur internet via les smartphones notamment, que deux femmes sur trois utilisent pour leur consommation6. “Regarder un film X est devenu quelque chose d’accepté chez les femmes, en partie grâce à internet, les VOD (vidéo à la demande), la dématérialisation de l’achat et la gratuité des contenus”, explique François Kraus, de l’institut Ifop7. Si elle était autrefois un sujet tabou, la masturbation féminine s’est largement banalisée. On observe ainsi une corrélation entre la généralisation de cette pratique et la démocratisation de la pornographie auprès du public féminin. Un sondage de l’Ifop en partenariat avec le journal ELLE rapporte que près de trois femmes sur quatre (76%) disent s’être déjà masturbées en 2019, contre 60% en 2006 et 42% en 19928. Certaines femmes utilisent donc la pornographie comme support d’excitation sexuelle.
Les raisons qui poussent les femmes à regarder du porno sont les mêmes que celles des hommes. La pornographie apparait comme un moyen simple et rapide de se procurer du plaisir et de mieux connaître son corps et celui de son partenaire9. Apprendre de nouvelles techniques, se sentir maîtresse de sa sexualité, se sentir à l’égal de son partenaire ou encore avoir une bonne « santé sexuelle » sont d’autres raisons qui expliquent le succès croissant de la pornographie auprès des femmes, selon le journal Femina10.
Si la plupart des femmes visionnent du porno seules, certaines voient cela comme un moyen de pimenter la sexualité de leur couple et en regardent avec leur partenaire. Sur les sites pornographiques, les catégories « lesbian » et « gay friendly » sont les deux les plus recherchées chez les femmes, indépendamment de leur orientation sexuelle. Contrairement à certains préjugés selon lesquels les femmes seraient davantage attirées par un contenu sensuel et fleur bleue, leur consommation de pornographie hardcore n’a cessé d’augmenter ces dernières années11. Les fantasmes de soumission, d’orgie et de sado-masochisme sont généralement de puissants moteurs d’excitation, quand bien même ils sont à l’opposé de leur sexualité réelle avec leurs partenaires et de leurs convictions12.
Quelles peuvent être les conséquences de cette consommation sur les femmes ? On réalise que dans la plupart des cas, le visionnage de vidéo hardcore contribue à banaliser chez les femmes, les violences sexuelles qu’elles subissent. Celles qui consomment du porno hardcore sont plus susceptibles de davantage tolérer les viols par exemple. Elles adoptent en effet une perception beaucoup plus positive de la violence que celles qui n’en regardent pas et se considèrent davantage comme des objets sexuels13.
En 2019, des psychologues allemands de l’université Justus-Liebig ont montré que 3% des femmes qui regardaient du porno étaient addicts. En comparaison, 5% des hommes le sont. Les critères de l’addiction reposaient entre autres sur la perte de contrôle face à la consommation de porno (temps passé dessus, manque de sommeil, tâches quotidiennes négligées…) et l’envie de consommer, au détriment de la vie sociale et de son état psychologique.
Même si le visionnage de pornographie est de plus en plus répandu chez les femmes, beaucoup d’entre elles ne sont pas entièrement satisfaites par les productions actuelles et la construction des sites, qui sont généralement conçus selon des critères masculins. Elles sont aussi plus sensibles que les hommes à la violence présente dans la pornographie et se sentent davantage concernées par la façon dont l’industrie du X traite les femmes. Face à cette situation, de nombreux réalisateurs se sont lancés dans un genre de pornographie alternatif, plus centré sur le désir et le plaisir féminin : on voit apparaitre depuis quelques années des sites spécialisés14. Par ailleurs, depuis les années 90, on voit émerger une pornographie féministe qui lutte contre l’image patriarcale de la sexualité15. La réalisatrice Erika Lust est l’une des pionnières de ce mouvement. Elle prône un porno éthique et humaniste, basé sur le consentement, le respect, le plaisir et la diversité. Ces films présentent plus de sensualité (moins de gros plans sur les parties génitales par exemple) que la plupart des productions actuelles. Ils sont construits autour d’histoires où le rôle de la femme et son désir sont mis en valeur. Bien que le porno pour femme soit moins violent et plus scénarisé, il garde un certain potentiel addictif et peut développer les mêmes phénomènes d’accoutumances que le porno mainstream.
Il est temps de réaliser que la pornographie ne concerne pas uniquement les hommes. Elle suscite des questions à la fois sur la sexualité féminine et masculine. A ce titre, la consommation de pornographie est aujourd’hui une question de société incontournable. Elle nous invite à reconsidérer en détails l’évolution des relations entre hommes et femmes depuis la démocratisation de la pornographie avec l’avènement d’internet.
[1] Sondage Ifop, Les Français, les femmes et les films x, en partenariat avec Marc Dorcel, 23/11/2012
[2] Agathe MAYER, « Sexo : 5 questions taboues sur les films pornos », Top Santé, 04/10/2015
[3] Amanda DE CADENET, « More Women Watch (and Enjoy) Porn Than You Ever Realized: A Marie Claire Study », Marie-Claire, 19/10/2015
[4] PornHub Insights, The 2019 Year in Review , 11/12/2019
[5] PornHub Insights, PornHub’s 2016 Year in Review , 11/12/2019
[6] ibid.
[7] AFP, « Les films porno ? Pas seulement une affaire d’hommes, assure une étude », Le Point, 23/11/2012
[8] Sondage Ifop, « Où en est la vie sexuelle des femmes en 2019 ? », en partenariat avec ELLE, 15/02/2019
[9] Ophélie OSTERMANN, « Elles aiment regarder du porno et racontent pourquoi », Le Figaro Madame, 13/12/2018
[10] Nicolas POINSOT, « Enquête : pourquoi les femmes regardent-elles de plus en plus des films porno ? », Femina, 28/05/2018
[11] Romain LE VERN, « De plus en plus de femmes consomment des films porno (mais pas comme les hommes) », LCI, 15/02/2019
[12] Les Philogynes, « Que regardent les filles sur PornHub ? », vidéo YouTube, 16/11/2019
[13] Damien MASCRET, « Ces femmes addicts au porno », Le Figaro Santé, 04/10/2019
[14]] Alice SPAPEN, « Les femmes, nouvelles accros au porno ? », Grazia, 24/11/2012
[15] Juliette GEENENS, « Le porno féministe, ou comment en finir avec l’idée du plaisir phallocentré », Konbini, 23/08/2016